PARIS-ART Un réseau translucide
Prue Lang
Un réseau translucide
MAINS D’OEUVRES
Alors que l’écologie et le développement soutenable prennent une place grandissante dans notre quotidien, comment le spectacle vivant et plus particulièrement la danse peuvent-ils s’approprier cet enjeu? La chorégraphe Prue Lang apporte sa réponse: une pièce dans laquelle l’énergie des interprètes est optimisée au-delà des «simples» mouvements dansés.
Des macarons produits localement seraient alignés sur le sol. Le sucre de ces friandises colorées alimenterait en énergie calorifique le corps de trois danseuses. Avalées goulûment, ces petites choses leur prodigueraient la force de pédaler à tour de rôle sur un vélo. La pièce chorégraphique dans laquelle elles évolueraient serait ainsi fournie en courant. De prime abord, de telles idées pourraient paraître datées et/ou saugrenues. C’est sans compter sur l’ingéniosité scénique et chorégraphique de Prue Lang, danseuse et chorégraphe d’origine australienne en résidence à Mains d’Œuvres. Dans cette pièce, l’énergie cinétique de trois interprètes féminines, dont la chorégraphe, est optimisée. Trônant en fond de scène, un vélo semble faire office de quatrième «interprète». Les trois danseuses l’enfourchent l’une après l’autre, pédalent encore et encore. Le courant produit éclaire le plateau. Des dispositifs techniques ingénieux sont par ailleurs intégrés aux costumes. L’énergie produite par les mouvements effectués alimente des batteries utilisables plus tard. Diffusant diverses chansons des années 80, le système sonore fonctionne d’ailleurs grâce à un précédent rechargement. Fonctionnant au courant électrique classique, la régie technique de Mains d’Œuvres (Lumières…) devient inutile et se retrouve mise au chômage… technique! Qu’en est-il de la danse déployée? Elle se fait parfois saccadée, comme si elle était abritée d’une tension débordante, voire difficilement maîtrisable, mais néanmoins recyclable. À certains moments, la gestuelle aurait même tendance à devenir mécanisée. Comme un subtil écho à la mécanique en branle de la petite reine? Serait-ce l’utilisation des costumes-accessoires qui génère les mouvements? Ou à l’inverse, seraient-ce les mouvements prédéfinis qui auraient entraîné l’élaboration de ces peaux parées de technologie embarquée? Une confusion délicieuse règne. Globalement, la pièce ne pâtit pas tant que cela des diverses contraintes découlant de l’option écologiste prise par la chorégraphe. Le pari d’un projet «visant à repenser les relations entre le corps et l’écologie» est presque relevé, malgré une impression de faiblesse à certains moments. C’est le cas, par exemple, pour ces arrêts répétés, rendus obligatoires pour laisser le temps à une danseuse de remplacer l’autre sur le vélo.Cette accumulation de noirs complets, aussi furtifs soient-ils, surcharge la pièce et lui enlève la fluidité qui semble lui faire défaut. Présent dans les rangs du public, Daniel Favier, directeur de La Briqueterie/Centre de développement chorégraphique (CDC) du Val-de-Marne, relève le «côté très aventurier d’une telle pièce autonome d’un point de vue énergétique». À brûle-pourpoint, il estime que le projet de Prue Lang est «une recherche novatrice, dans la mesure où le concept environnemental est poussé jusqu’au bout: depuis l’élaboration en amont de la pièce jusqu’à sa création sur scène». Dernier détail qui a son importance: la pièce s’intitule «Un réseau translucide». «Translucide» comme l’eau pure non polluée. «Translucide» pour signifier au spectateur-citoyen que rien ne lui est caché. «Réseau translucide» pour lui suggérer, peut-être, qu’il pourrait lui-même chercher à réduire son empreinte énergétique en s’incluant dans un réseau vertueux. De l’art dansé à l’écologie appliquée, il n’y a qu’un pas que Prue Lang s’est fait un plaisir de franchir. Avec une énergie renouvelable et renouvelée! Par Valentin Lagares — Conception: Prue Lang Chorégraphe |